La canicule acquérant désormais la forme du souvenir, l'esprit se ragaillardit quelque peu et reprend progressivement le contrôle du corps qui, mal à l'aise dans un environnement thermique inhabituellement surchauffé, avait développé ses facultés d'adaptation pour abolir au maximum toute tentative d'action… Parallèlement, ce genre d'expériences extrêmes laisse naturellement une marque profonde dans le psychisme et l'imaginaire va maintenant tout faire pour que ce souvenir maintienne l'intensité d'un étonnement presque archaïque… Il m'était alors difficile d'exécuter des actions aussi simples ou quotidiennes que faire le ménage, préparer à manger, monter ou descendre un escalier, faire des courses, avoir une conversation soutenue, bien que je me sois dans le même temps retrouvé à conduire un véhicule sans climatisation sur une distance cumulée d'environ 2000 km… Les deux seules choses relativement faciles et agréables à faire furent de lire et écouter de la musique… Coïncidence non hasardeuse, je me suis replongé tranquillement dans la lecture de ce remarquable essai de David Toop sur les musiques atmosphériques, environnementales, liquides, bruitistes, dont il situe symboliquement une sorte d'origine ou d'amorce au moment où Claude Debussy découvrait les orchestres de Gamelan pendant l'Exposition Universelle de 1889 à Paris... Ou quand la musique (occidentale) cesse d'être un phénomène spectaculaire ou égotiste en manifestant des ambitions plus holistiques… Ce que j'en comprends, c'est que cette nouvelle transversalité, perméabilité, porosité, des musiques du monde entier qui n'a cessé d'enfler tout au long du 20è siècle a profondément modifié la perception que nous avons de la musique au sens large, tout son devenant musique, toute musique devenant son, dans une posture d'écoute qui ne cherche plus à différencier, discriminer, juger, cataloguer, mais accueillir, intégrer, absorber, avec une conscience équanime… Pour ma part, ça fait bien longtemps (depuis toujours ?) que mon esprit semble avoir développé vis-à-vis du son une faculté d'absorption fondée sur des stratagèmes (non prémédités) comme, par exemple, percevoir qu'un son (ou une musique) n'est jamais isolé mais fait partie d'un environnement… Un même morceau de musique entendu sur une chaîne haute-fidélité, une radio proche, une radio lointaine (émanant d'une voiture ou d'une fenêtre au loin), au casque, dans un entourage calme ou bruyant, ne sera pas le même, aura une consistance, un relief, une existence différents… Bref, revenons à nos moutons… Il y a eu un cheminement de cette canicule à cet essai sur "l'océan de son" pour finalement se résoudre dans la confection d'un enchaînement de musiques portant la marque de moult transpirations, suintements, vapeurs, buées, coulées, condensations, émanations, ruissellements… C'est très long, mais ça peut s'écouter par bribes, quand on veut, où on veut… Vous l'avez compris, ça ne force pas l'écoute…